Parcours d’une scientifique [Isabelle le Hécho]

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous nous sommes entretenus avec Isabelle Le Hécho (maître de conférences à l’UPPA et directrice adjointe Recherche et innovation du collège STEE*) qui a travaillé à plusieurs reprises avec notre Carnot.
Elle nous livre aujourd’hui son témoignage de chercheuse, d’enseignante et de femme de science.

 

Carnot ISIFoR UPPA Isabelle le Hécho science chimie IPREM

Isabelle Le Hécho

[ISIFoR] Pour débuter notre échange et parce que c’est aujourd’hui la Journée internationale des droits des femmes, diriez-vous que l’environnement général dans lequel se déploie la recherche s’est féminisé et est-ce que les manières d’être au travail ont changé dans un sens propice à une véritable égalité femme-homme ?

[Isabelle le Hécho] Il me semble que l’environnement dans lequel évolue la recherche se féminise mais c’est assez inégal en fonction des domaines disciplinaires. Il se trouve que je développe mes activités de recherche dans un écosystème dédié à la chimie appliquée à l’environnement et c’est un milieu dans lequel on rencontre beaucoup de femmes depuis déjà longtemps. Par contre, lorsque j’ai commencé ma carrière, j’ai beaucoup travaillé dans des thématiques en lien avec la gestion des sites et sols pollués et ce domaine était très largement masculin, il y avait très peu de femmes. Je constate toutefois qu’il y a encore une disparité homme/femme avec une présence supérieure des hommes sur des postes à responsabilités : directions d’équipes, de laboratoires de recherches, postes stratégiques au sein des universités.

[ISIFoR] Vous avez préparé et soutenu votre thèse à Pau. Quel a été votre parcours avant et après cette thèse et quels furent vos premiers pas professionnels ?

[Isabelle le Hécho] L’envie de continuer mes études et de m’engager vers une carrière de chercheur ou d’enseignant-chercheur n’est apparue que relativement tardivement après l’obtention d’une maîtrise de sciences et techniques dans le domaine de l’environnement. À la suite d’un DEA en chimie et microbiologie de l’eau, j’ai pu bénéficier d’une bourse de thèse avec un partenaire industriel, Elf Aquitaine à l’époque. Ces 3 années de doctorat restent pour moi une période très enrichissante avec de très bons souvenirs, à la fois sur le plan scientifique puisque j’ai appris à déployer et prendre à mon compte un travail de chercheur et également sur le plan humain avec une excellente complicité avec les différents thésards et surtout thésardes présents dans le laboratoire. Juste avant de soutenir mon doctorat j’ai postulé à une offre de post-doc au BRGM à Orléans. Je me souviens avoir hésité car un directeur de laboratoire m’avait dit que je n’aurai aucune chance ! Ma directrice de thèse m’a encouragée, j’ai postulé et après plusieurs entretiens j’ai décroché ce poste. J’ai passé 3 années au BRGM avec une transformation de mon contrat de post-doc en poste de chercheur permanent (CDI) et je suis partie en détachement à Douai travailler dans le domaine de la gestion des friches industrielles au centre national de recherche sur les sites et sols pollués. J’ai souhaité, pour des raisons personnelles, redescendre dans le Sud-Ouest et en parallèle j’ai à la fois passé le concours de la fonction publique territoriale où j’ai obtenu le concours d’ingénieur et celui de recrutement d’enseignant-chercheur. J’ai ainsi obtenu un poste de maître de conférences à l’UPPA, que j’ai finalement choisi et je ne le regrette pas. En effet, lors de mon post-doctorat puis en tant que chercheur au BRGM j’ai pu développer une activité d’enseignement en lien avec mes activités de recherche. À cette époque, j’ai donné des cours sur la problématique des sites et sols pollués en formation initiale à l’École des Mines de Douai et dans le cadre des formations professionnelles pour des géologues ou des professionnels travaillant dans le domaine des sols pollués. Finalement le métier d’enseignant-chercheur me permettait à la fois de développer une activité de recherche et de pouvoir transmettre grâce à l’enseignement.

 [ISIFoR] Si l’on remonte avant la thèse, est-ce qu’à l’issue de votre lycée vous aviez déjà un goût pour la chimie et une idée précise de ce que pouvait être la recherche ? Avez-vous hésité avec d’autres disciplines ?

[Isabelle le Hécho] Au lycée, je souhaitais me destiner à une carrière dans le domaine des sciences mais je n’avais pas de préférence particulière pour la chimie et je dois dire que j’étais plutôt attirée par la physique. À l’époque la carrière de chercheur me semblait quelque chose de totalement inaccessible et je n’avais jamais envisagé poursuivre des études longues. J’ai commencé par une formation de technicien supérieur en mesures physiques avec une coloration plus importante en physique qu’en chimie. Et c’est grâce à des discussions avec un enseignant-chercheur de l’Université de Bordeaux (où j’ai obtenu le diplôme de technicien supérieur) et parce que les cours donnés par cet enseignant étaient vraiment très intéressants, que j’ai finalement continué dans le domaine de la chimie appliquée à l’environnement jusqu’au doctorat.

[ISIFoR] Vous contribuez à créer et à développer les partenariats entre l’UPPA, les entreprises et les industries, comment ces rapprochements se construisent-ils ? Qu’est-ce que cela apporte à vos travaux ?

[Isabelle le Hécho] Oui, j’ai toujours eu dans mon parcours des relations étroites avec le monde socio-économique. Que ce soit au BRGM où j’ai travaillé dans le domaine des friches industrielles ou même lors de mon doctorat, puisque j’ai bénéficié d’une bourse Elf Aquitaine, j’avais des échanges réguliers avec l’ingénieur responsable du projet. Les partenariats reposent finalement beaucoup sur la confiance et le respect mutuel. Évidemment, le choix des sujets de recherche que l’on souhaite développer, s’inscrit à la fois dans les thématiques ou les missions stratégiques de recherche identifiés par le laboratoire de rattachement, l’IPREM en l’occurrence pour moi, et plus largement par l’UPPA.

Carnot ISIFoR UPPA Isabelle le Hécho science chimie IPREMJe tiens d’ailleurs à souligner ici que dans tous les partenariats je ne travaille jamais seule mais avec des collègues chercheurs ou enseignants-chercheurs et que ce travail d’équipe permet de mettre en commun nos différentes compétences, ce qui rend dynamique nos échanges. Bien sûr, la réalisation des travaux de recherche n’est possible que grâce à l’implication et l’enthousiasme des doctorantes, doctorants, post-doctorantes et post-doctorants avec qui nous développons un vrai travail collaboratif basé sur la confiance et le respect.

Dans les travaux que nous menons, nous avons une totale liberté et les échanges sont très faciles avec nos partenaires industriels. Les projets que l’on développe ont souvent pour objet d’anticiper une problématique : par exemple disposer d’outils de caractérisation fiables, faciles d’utilisation pour l’analyse d’éléments traces présents dans certaines matrices comme le biométhane et ceci dans un contexte de transition énergétique, ou bien d’être capable d’anticiper l’intégration d’énergies gaz décarbonées, comme l’hydrogène et le biométhane, dans les infrastructures gazières existantes… Les échanges avec les industriels nous permettent d’avoir une vision globale du sujet sur lequel nous travaillons, depuis l’échelle laboratoire jusqu’au déploiement sur le terrain. Les approches sont complémentaires. Nous leurs apportons nos compétences dans des domaines pointus et ils nous proposent d’adapter nos travaux à l’échelle du terrain.

Carnot ISIFoR UPPA Isabelle le Hécho science chimie IPREM[ISIFoR] Aujourd’hui la présence des femmes au sein des personnels enseignants-chercheurs universitaires demeure souvent minoritaire (40%** en 2020), quel message auriez-vous envie de faire passer à des jeunes femmes qui hésiteraient à s’engager dans cette voie ?

[Isabelle le Hécho] Je leur dis de ne surtout pas hésiter, qu’elles ont toute leur place et dans tous les domaines scientifiques. Le plus important est que ce soit la voie et le métier qu’elles ont choisi et surtout de ne pas se mettre de barrières ni se préoccuper des stéréotypes ; une femme a toute les capacités et les compétences pour travailler dans les métiers scientifiques au même titre qu’un homme et puis surtout ce sont des métiers passionnants !

 

  • * Science et Techniques pour l’Énergie et l’Environnement
  • ** Source MESRI – cliquez ici.